Ces contes, tellement réalistes qu’on les reçoit comme une confidence dans une rue bruyante, dans une gargote, et même dans un cimetière. Puissamment écrits, sans vergogne, les mots, la chair, le ou les « commerces » des gens, petits ou riches (surtout très pauvres !). C’est Odessa, vu par un vrai juif d’Odessa, qui se souvient de sa ville. On parle russe mais pas tout le monde. Ici c’est yiddish et même un yiddish du sud. Et puis, de toute façon, ailleurs il ne peut rien se passer d’aussi important. C’est l’Odessa d’avant 1917 évidemment. Tellement impensable à Moscou. Et pourtant ces petites gens agitées, parfois ivres, qui vivent sous la menace permanente de pogroms, eux aussi ont saisi des
drapeaux rouges. Babel, c’est un style ; Victor Chklovski a dit qu’il avait donné à la littérature russe, « grise comme un serin », « des culottes framboise et des bottines de cuir bleu azur ». Les culottes et les bottes des gens d’Odessa ne devaient pas être aussi pimpantes. Le truculent parfois cache le tragique comme un caftan. Babel a disparu fusillé par la racaille policière de Staline en 1940.